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Dans la francophonie, continuer le français

par Jean Pierre Ceton


On ne peut que souscrire à l'appel de Claude Hagège, dans Le Monde daté du 8/11/08, pour que s'ouvre enfin l'ère de la deuxième francophonie, celle qui doit succéder à la francophonie coloniale.

Afin d'avancer dans cette voie, il faudrait prendre exemple sur le Portugal dont le parlement a ratifié en mai dernier un «accord orthographique», conclu avec les sept autres pays ayant le portugais comme langue officielle, qui vise à rendre l'orthographe plus proche de la façon dont les mots sont prononcés, notamment en supprimant les consonnes dites silencieuses... Une simplification qui ne porte que sur 2.000 mots, mais dont les trois quarts devront être changés par le Portugal (qui se donne un délai de dix ans pour l'appliquer).

On se réjouit également que l'Organisation internationale de la francophonie soit porteuse d'une détermination « à promouvoir davantage encore la langue française dans le monde »...
Ainsi faut-il certainement lutter contre l'usage systématique de l'anglais dans les réunions internationales. Encore que l'aspiration à parler une même langue y est difficilement contrable. Peut-on reprocher par exemple à la Ministre des finances française qui s'exprimait au nom de l'Union européenne, lors de la récente réunion préparatoire du G20 au Brésil, de l'avoir fait en anglais ? Si elle avait choisi le français, sans doute l'aurait-on accusé d'arrogance.

Il faudrait déjà se préoccuper de la prolifération des inscriptions en anglais dans les rues de nos villes et même sur nos autoroutes (l'enseigne « On the run » fait figure de provocation quand le français dispose de En route, Sur la route, Bonne route etc.).
On devrait surtout s'inquiéter de l'usage de plus en plus répandu, dans le discours courant, de mots anglais (basic line, main stream, pitch, soft power, credit crunch,callcenters etc) qui ne sont même plus accompagnés d'un «comme on dit en anglais». Tout expert ou cadre dirigeant en usent désormais dans une sorte d'habitude, tels des concepts utiles, au-delà de tout snobisme.
Est-ce parce que la création de concepts est pauvre en français? N'est-ce pas parce qu'à force de vouloir conserver la langue, sans lui laisser vivre sa modernité, elle finit par s'effacer dans son rôle de production de concepts?

Claude Hagège fait état « d'un masochisme de coupables qui conduit à se déprendre de la langue française ».
N'y-a-t il pas une forme de masochisme à préférer se préoccuper de sauver des mots anciens plutôt que de favoriser l'émergence de mots nouveaux? Dire à ce propos qu'on ne peut pas faire courir la rumeur selon quoi la langue contemporaine s'appauvrit et en même temps la brider dans son processus d'enrichissement.
N'y a t-il pas une forme de masochisme à fourbir des armes contre soi, en persistant d'user de formes obsolètes et illogiques plutôt qu'à s'engager sur une voie de réforme de certains usages de la langue?

Une bonne nouvelle cependant est survenue avec l'introduction de la double orthographe par le Dictionnaire Robert dans son édition 2009, ce qui d'une certaine façon légitime le vrai travail de rectification et d'harmonisation opéré par la réforme de 1990.
Cela concerne 6000 mots sur 60000, ce qui n'est pas rien, même s'il a été jugé trop sensible d'y inclure la quasi suppression des accents circonflexes sur les i et u (plait, connait, voute etc). 
C'est une bonne nouvelle si on a le souvenir du débat épique qu'avait provoqué la proposition d'écrire oignon « ognon ». Maintenant, avec la double orthographe, le débat est clos, les gens choqués
par cette graphie peuvent toujours l'écrire et même le prononcer « oignon ».

Si le français doit être pour les pays de la francophonie une langue qui facilite l'insertion dans la modernité, alors oui il faut favoriser l'invention de termes nouveaux et d'expressions nouvelles, donc de concepts nouveaux. Les enfants sont d'ailleurs particulièrement inventifs dans la pratique privée de la langue, par exemple ils utilisent les terminaison en age (comme gravage pour signifier l'opération de graver un disque).
Mais il faudrait également reprendre l'oeuvre entreprise par la réforme de 1990, en se rappelant le grand Voltaire qui écrivait: «L'écriture est la peinture de la voix: plus elle est ressemblante, meilleure elle est».

Tandis que se confirme la généralisation du e au féminin (une professeure, auteure, députée, docteure, entraineure), il ne serait pas compliqué de se rapprocher du principe selon lequel toutes les lettres doivent se prononcer sinon elles ont vocation à disparaitre... De réduire les s ou x terminaux au singulier, rien ne choquerait d'écrire le temp, un vieu, du corp... De faire concorder l'écriture des mots de la même famille (connecter, connection)... De généraliser le s à l'impératif à la deuxième personne, ce qui ne léserait personne... Tout comme bien d'autres petites corrections de logique qui faciliteraient grandement l'accès au français des enfants et des étrangers.

En cela, les peuples de la francophonie qui ont cette pratique d'inventer des expressions ou d'alléger les règles, pourraient nous aider à poursuivre l'expérience de la langue. C'est à dire nous pousser à la continuer cette langue.
De sorte d'amplifier le champ du français, d'accroitre sa capacité à véhiculer de la pensée, de faire surgir davantage de concepts. Oui, en continuant le mouvement de la langue française, on la renforcerait.

Faut-il pour la servir supprimer à l'école primaire l'enseignement de l'anglais au profit de celui de l'histoire de la francophonie, comme le suggère un peu bizarrement Claude Hagège?
Il paraitrait raisonnable d'y apprendre la nouvelle orthographe plutôt que l'ancienne. Étant entendu que l'usage de cette dernière ne constituerait évidemment pas une faute, qui doit seulement sanctionner une erreur manifeste de logique ou bien une marque d'ignorance.


21/11/2008 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à  j. 16/3/2016


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