f             
texte 39

   Poétique du jeu chez Yves-Noël Genod

      par Jean Pierre Ceton


Comment parler du spectacle d'Yves-Noël Genod, « Je m'occupe de vous personnellement », au théâtre du Rond Point, Paris ? Sachant que ça ne ressemble à rien d'autre et que l'improvisation qui s'y pratique chaque soir, fait que le spectacle n'est jamais tout à fait le même...

Il y a de l'herbe verte au sol, à l'entrée de la salle, et beaucoup de plantes vertes près des fenêtres qui bordent l'un des côtés du plateau. Série de fenêtres qu'on dirait être celles d'une maison de maitre de province et qui donne sur l'extérieur, proximité des Champs-Elysées dont on capte les sons, y compris des oiseaux, doublés par ceux de la bande-son, présents le long de la représentation.
Des fenêtres, vers quoi en effet les comédiens vont parfois, se pencher, hurler ou tenter de s'échapper.
Les comédiens ne se préoccupent en général pas des spectateurs, ils peuvent tout aussi bien faire leurs affaires entre eux, partir vers la sortie de secours ou à l'arrière du plateau.
Ils peuvent se parler, se joindre en général pour un bref échange, je te remets tes cheveux, qu'est-ce que tu dis ?...

Sauf Valérie Dréville qui vient lire des textes de Hélène Bessette. Elle, elle s'adresse aux gens d'un sourire inspiré, enthousiaste, porteur de foi (dans la beauté, la littérature, la vie), en fait elle ne lit pas, elle rit les textes.
Bon, pas du rire des comiques, du rire des gens vivants. Elle exprime de la joie en même temps qu'elle profère le texte d'une voix égale.

Le plateau n'est pas toujours occupé, ou il l'est par des êtres qui ont chacun leur activité, ou bien par quelques accessoires improbables, quand ce ne sont pas deux poules, des vraies, échappées d'une basse-cour qui l'occupent.
Sinon, on fait un peu sur ce plateau ce qu'il ne faut pas faire.
Par exemple, de l'eau répandue sur le plateau fait qu'on peut glisser. Eh bien un comédien glisse, tombe, s'écroule, se casse la figure, et comme il est expert danseur il ne se fait pas mal. Il peut tout assis bien nager sur cette fine couche d'eau, tout comme il peut danser bouger rouler le long d'une largeur et retour.
Dominique consulte son téléphone, ou va le charger, et puis répond au téléphone, oui elle a une longue conversation au téléphone, on ne serait pas surpris qu'à un moment elle dise : excuse moi, tu sais, là je joue au Rond-point, faut quand même que je revienne vers les gens.
Elle revient plus tard avec un couteau pour s'occuper d'une poule... Marlène mange, erre, ou décore toujours un sapin imaginaire, un autre je suis sûr cherche quelque chose qu'il a perdu, on ne sait quoi et lui non plus, c'est sûr.
Oui mais les autres jours, il y a surement d'autres anecdotes, d'autres petites séquences, c'est bien ça Yves Noël ?

Alors donc ce n'est pas dans l'anecdote qu'il faut chercher la piste de la magie du spectacle.
Il y a le feu, depuis le précédent spectacle le feu est là, la tentation du feu. Pour l'ardence ?
Allumer un feu au milieu du plateau, essayer d'allumer quelques brindilles comme dans le désert.
Faire un peu ce qu'il ne faut pas faire ?
Je ne sais pas s'il existe d'autres spectacles où l'on peut laisser le plateau vide pendant un temps durant. Juste meublé des accessoires (peu) et des traces laissées par les comédiens en allés ?
Un théâtre de sale gosse riche de conscience extralucide ?
Il y a les images, les déplacements, les accointances, la lumière... C'est ça, la mise en scène.
Ce qui fait que nous, spectateur, on se prend au jeu. On se prend à la durée, on se prend à l'instance que pourtant Yves-No pourchasse. On se met à rire, pas forcement avec une raison précise.
On se met à être bien, d’être là.
Une sorte de théâtre poétique. De poétique du jeu..

Je crois savoir qu'on lui avait demandé de reprendre un spectacle donné à Avignon il y a deux ans, je peux me tromper. Mais Yves-No n'est pas genre à reprendre, tout simplement parce que ses spectacles sont liés à sa vie. Pas à sa vie privée, à la vie qui va, qui bouge, qui transforme, modifie, emballe, désespère, celle qui nous projette toujours vers un avant à venir, sans jamais nous laisser en repos à la table grise des officiels bien pesants.
Un théâtre d'introspection extériorisée, peut-être.
Je ne raconte pas la fin, ça ne se fait pas. D’ailleurs, il n'y en a pas.
« Elle était stimulante la pièce que tu as vue ? » / Oui !


                                                                                 sommaire   haut de page
25/5/2012 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j.  26/5/2012
La page de jean pierre ceton
Dans la francophonie continuer le français
Analogiques versus numeriques : hommage à Derrida
Pour une littérature numérique
Détestation du mot bouquin
Poursuivre l'expérience de la langue
La question du support
retour page principale
écrire à lettreaulecteur