texte 13

Familiarité de la rentrée

par Pierre Bertin et Alain Bruyère


Dérision de la rentrée qui revient chaque année et à la fin de l'été en plus. D'abord c'est le foot, les matches reprennent en août et puis c'est le tour des enfants. Eux ont toujours plus de passion pour l'arrivée des grandes vacances que pour celle de la rentrée scolaire.
Mais il semble que ce ne soit pas le cas du milieu dit littéraire qui nous accable
de la rentrée du même nom.
Il faut voir comment elle nous est annoncée. Avec ces milliers de titres et surtout ces centaines de nouveaux romans qui vont devoir trouver une place dans les rayons des librairies, à moins qu'ils restent dans les cartons plusieurs semaines avant de repartir à l'éditeur.
Comment donc quelques dizaines d'entre eux seront selectionnés par la presse?
Ce n'est pas seulement travail d'attachés de presse, de toute façon il n'est pas possible de parler de tous ces livres. Ni de les lire d'ailleurs.
Il faut voir comment les critiques vont s’y prendre pour parler des premiers livres, en général (peut-être pas tous) les critiques ont besoin d’être familier avec la chose pour en parler. Et comment faire pour parler de quelque chose ou de quelqu’un qu’on ne connait pas?
Ils pourront toujours se rabattre sur les livres annuels de l'édition, des gens de l'édition même ou des habitués de l'édition. Donc de ceux-là, on dira soit que c'est leur meilleur livre,
le douzième, le vingtième, tous les ans, ou encore que c'est toujours aussi mauvais...
Il faut bien admettre qu'au fond les écrivains ne sont guère présents dans ce phénomène de rentrée, qu'il s'agit plutôt de l'affaire des éditeurs et des critiques.
Pour que ça marche en tout cas, il faut un bon accord entre tous, c-à-d entre eux, et l’accord minimal qu’il faut en général c’est le familier.
Le familier étant tout l’opposé de l’information au sens de la théorie du même nom. Ce qui est déjà familier est de peu d'informations. Ou plus précisément le familier relève du zéro information. Pour les critiques
bizarrement (en général, pas tous) le choix se porte vers ce qui leur est familier. Etant entendu que c'est vrai également pour les éditeurs (id), un bon livre ce sera un livre familier, donc que l'on reconnaitra ou, pire, dont on dira qu'on l'attendait.
Les éditeurs d'ailleurs ont tendance à choisir le familier en pensant aux critiques tellement sollicités, de sorte qu'ils s'y retrouvent aisément!
Si le non familier est le problème des critiques, à l'inverse le familier est le problème de la littérature, voire sa négation.
Un essayiste a remarqué que dans la chaîne du livre, le seul à ne pas gagner d’argent
(à part quelques-uns) ou mal généralement c’était l’écrivain. Dans le phénomène de rentrée l'écrivain n'a rien à gagner (id) et la littérature encore moins puisque cela vise à tout ramener au familier.
A un moment, l'un de ses livres familiers va faire la une, devenir le champion des... ventes, car ce n'est pas sûr que ce le soit des lecteurs qui lisent.
Il faut bien dire qu'outre sa familiarité necessaire avec le connu, il lui faudra de préférence être plutôt malsain... Un peu dégueu, quoi!

23/09/2006 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j. 29/01/07
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