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Le présent du courage, répondre à Badiou

par Jean Pierre Ceton




Répondre à Alain Badiou ("Le courage du présent", Le Monde daté du 13-14 février 2010), puisque tout lui semble permis dès lors qu'il clame que l'idée du communisme n'est pas finie.
D'ailleurs il n'y pas raison de le penser, il y aurait même toutes raisons de croire qu'elle peut se développer cette idée. Une erreur serait de croire que parce que le capitalisme est en place, il n'y a pas de perspective communiste. Par exemple, plus le capitalisme se régule ou plus il est régulé, et aussi plus les institutions internationales prennent de l'importance, et plus les ONG également, et plus une certaine perspective communiste s'installe, c'est-à-dire celle qui prend en compte la totalité des individus.

En revanche, le modèle soviétique, les dictatures communistes du passé c'est fini, même s'il en existe encore sur la terre, et de la pire facture, comme la Corée du Nord. Et de grâce il n'y a pas à chercher à les réhabiliter, tout comme on ne défend plus la colonisation, ou alors comme la droite le fait, pour y trouver des aspects positifs.
Il n'y a pas de raison de le penser, parce que l'évolution globale du monde a amené à un développement, certes inégalitaire de l'individu, mais à un développement
de l'individualisation jamais atteint dans le passé, ce qui d'après Marx et Jaurés était l'objectif du communisme.

La démarche de Badiou part du constat que nous vivons un « temps désorienté ».
Hélas pour lui, c'est un constat qui se fait aussi bien à droite qu'à gauche et même aux extrêmes. En tout cas chez tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans un monde qu'ils croyaient à tout jamais figé, alors qu'il ne cesse de se transformer, et qui disent en effet qu'on a perdu les repères,
plutôt que de tenter de le comprendre.
Sa démarche s'appuie en conséquence sur l'affirmation qu'il faudrait proposer à la jeunesse, et surtout à la jeunesse populaire, un principe d'orientation. Ce qui est là encore une direction partagée par les mouvements
aussi bien religieux que politiques de droite ou de gauche.

Pourtant après bonne réflexion, on peut penser qu'il ne faut pas faire ça. Qu'il ne faut plus faire ça. Certes on peut toujours vouloir transmettre tout ce que nous pouvons, nous devons proposer ce que nous savons, mais pas proposer un principe d'orientation. Car ce serait vite l'imposer à la manière dont il a été adressé -ou l'est- à la jeunesse populaire à Cuba, en Corée du nord ou en Iran par exemple, manière plus fasciste que démocratique ou égalitaire.
Vouloir proposer un principe d'orientation serait surtout aller contre toute forme d'évolution, et en particulier la plus récente, celle selon laquelle le savoir l'emporte désormais sur l'expérience.

Bien sûr le principe d'orientation de Alain Badiou, c'est l'hypothèse communiste et ses 3 axiomes. Visitons-les.
D'abord « l'idée égalitaire ». Il faut vite renvoyer à la modification majeure intervenue en Occident et en France notamment, celle de l'éducation de masse. Avec comme corollaire, l'érosion de l'idée selon quoi il y a des enfants qui sont doués pour les études et d'autres que ne le sont pas, ça ne se dit plus. Noter encore que s'il y a une reproduction des élites, ce sont désormais les enfants de professeurs (donc les classes moyennes) qui réussissent le mieux leurs études, parce qu'ils savent ce qu'il faut faire.
Deuxième axiome, « un état coercitif ne serait pas nécessaire » C'est la bonne blague de l'hypothèse communiste selon Badiou. Car sauf adhésion globale à cette hypothèse, comment pourrait-elle éviter son totalitarisme et son principe de
la fin qui justifie les moyens? Concrètement comment éviter de mettre les poètes en prison ou d'imposer une autorisation pour avoir internet comme à Cuba? On peut se demander à ce propos ce qu'il serait advenu d'Internet si les régimes dits communistes avaient gagné sur toute la terre.

Enfin 3ème axiome: « l'organisation du travail n'implique pas sa division ». Il s'agit là soit d'une vision pré-industrielle, soit d'une vision artisanale qui n'est pas forcément fausse mais qui n'est pas franchement actuelle. Par exemple, on peut tout faire sur place dans certains domaines avec un seul ordinateur. Ou alors, s'il s'agit d'un travail à multiples compétences, on choisit de le faire faire par ceux qui ont les meilleurs outils dans chacune des compétences requises.

Que faire? comme disait Lénine. Selon Alain Badiou, avoir le courage d'attendre. Donc le grand soir? Non, plus la peine, ça c'est  l'erreur. En outre que cette attente est plus calquée sur celle du messie que sur une option de raison, c'est à tout moment et partout qu'il faudrait avoir l'impatience courageuse d'intervenir, en particulier sur l'accumulation des couches idéologiques. En effet, la transformation mentale, la désinscription de mille points idéologiques corrompus réclame un présent de courage.
Il se pourrait par ailleurs que la transformation numérique de l'éducation modifie bien plus la société que l'hypothèse communiste datée d'Alain Badiou.
Le présent du courage, c'est de ne pas s'entêter à nourrir une conviction enracinée!



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05/05/2010 / tous droits réservés / texte reproductible sur demande / m. à j.  10/05/2010
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